Une découverte surprenante.

 

Lors d’un voyage culturel organisé par une agence de voyage en 2010, j’ai eu l’occasion d’explorer un peu la région ligérienne de l’Anjou et du Maine. Ça fait longtemps déjà que je parlais, dans un de mes ouvrages, du bon roi René, de sa "mesnie". Cette seconde maison d’Anjou entre en jeu dans mon livre Origine et identité de Jean Perréal selon des sources littéraire (publié en allemand en 2001 et 2007), où le peintre de cour Jean Perréal est considéré comme un petit-fils illégal du bon roi René.

 

Jusqu’à ce jour mon travail a été ignoré par les historiens, car vouloir déduire des faits historiques de données littéraires est un procédé considéré comme scientifiquement inacceptable. Je n’ai évidemment pas manqué à vérifier mes résultats d’interprétation littéraire avec des données historiques. Ma méthode m’a permis d’aller au-delà de ce qui était connu, sans cependant aboutir à une certitude absolue.

 

Mais voici qu’en un point les choses commencent à se concrétiser : Dans l’ouvrage indiqué, j’évoque une lettre dédicatoire de Jean Perréal à son souverain, précédant son traité alchimique en rimes. Le contenu d’une telle lettre peut  se baser sur des données réelles ou être une simple fiction. Or ici il ne s'agit ni d'un récit réel, ni d'une pure fiction (puisque la lettre s’adresse à un personnage universellement connu, le roi François Ier, et évoque un évènement historiquement datable, la victoire française de Marignan en 1515). L’auteur ne fait pas de rapport sur des évènements concrets susceptibles d’intéresser le roi, il s’agit plutôt d’une sorte de rêverie. En tout cas, l’aventure qu’il raconte ressemble plus à un souvenir onirique qu’à une expérience vécue.

 

Jean de Paris (alias Jean Perréal) perd son chemin et arrive devant un château détérioré, où il est reçu par un vieil homme qui lui montre diverses choses : une ancienne armure où il avait été blessé à Montlhéry, une galerie garnie de têtes de cerfs et de peintures fanées de chiens de chasse. Jean y découvre une bibliothèque couverte de poussière, une niche avec une tête de mort... Il a l'impression de se trouver dans une sorte de château hanté rappelant les histoires de la Table Ronde. Pour moi, cette lettre dédicatoire contient des demi-vérités, des vérités cachées : L’auteur nous y révèle quelque chose sur son propre destin.

 

Si je dis « nous », c’est qu’à la première question, s’il s’agit d’un texte fictif ou non, s’ajoute une seconde : L’ouvrage a-t-il été offert à François Ier, ou bien cette dédicace est-elle également une fiction littéraire libre, assumant la forme d’une curieuse lettre dédicatoire ? Le doute est motivé puisque ce traité alchimique n’a jamais été répertorié dans la bibliothèque du roi. Il faut donc considérer la possibilité, que la forme dédicatoire et le ton panégyrique n’aient été choisis que par mesure de protection pour garantir sa survie. L’auteur ne s’adresse probablement pas au souverain, mais plutôt à la postérité. Donc à nous de résoudre les énigmes qu’il pose.

 

Après maintes réflexions et recherches j’arrive à admettre que le vieil homme, que Jean de Paris rencontre dans ce château détérioré, soit Pierre de Brézé, un valeureux chevalier et commandant d’armée qui aurait alors survécu des décennies à sa mort supposée lors de la bataille de Montlhéry en 1465. N’étant pas française, ni experte des bons vins de France (sinon la marque de Dreux-Brezé m’aurait mise plutôt déjà sur la bonne piste) j’ignorais qu’il existe encore aujourd’hui un château Brezé.

 

Quelle découverte que d'apprendre qu’il s’agit en fait de deux châteaux superposés : En dessous du château Renaissance, construit à partir du XVIe siècle, se trouve un château invisible, caché dans le sol. Le terrain en dessous est criblé de couloirs, de salles, de cavernes troglodytiques d’une structure si vaste qu’elle permet d’héberger quelques cinq cents personnes. Il y a des mangeoires ou abreuvoirs pour les chevaux, lesquels y furent amenés par un tunnel en pente douce. On y gardait probablement aussi des faucons, et peut-être des limiers et lévriers.  On y découvre des niches pour stocker les céréales,  un puit de glaces pour conserver les viandes et des fours à pain. Le tout n’est pas encore entièrement accessible aux visiteurs, une partie en est réservée à l’archéologie.

 

Ce fût non seulement un refuge en temps de guerre mais aussi une cachette idéale pour quelqu’un qui voulait se faire croire mort, en l’occurrence probablement  Pierre de Brezé, et qui sait, peut-être même l’auteur de la lettre dédicatoire en question. Car selon moi, dans un chapitre de ma publication de 2001/2007, j’essaie d’expliquer que Jean Perréal n’est pas décédé vers 1530, comme généralement admis, mais seulement en 1554, ce qui équivaut à dire qu’il a mené une vie clandestine pendant presque un quart de siècle. Sur le territoire du château on voit encore les ruines de la chapelle qui avait fait partie du vieux château lequel devait faire place à l’élégant château Renaissance actuel. C’est en 1445 que le roi René donna à Gilles de Maillé-Brezé l’autorisation de fortifier son château, et il y eut une première modification précisément en 1515, ordonnée par Guy de Maillé-Brezé. Au tympan d’un portail intérieur on voyait une Vénus allongée avec l’inscription : « Je ne suis pas la Vénus qu’ont créée les poètes ; je suis la Vénus qui ramène à ce qui a été nourri d’une flamme pieuse ».[1] Fut-elle réalisée d’après un dessin de Perréal, puisque cette déesse semble avoir été, malgré sa nudité, si peu un objet de convoitise que la déesse Nature sur la seule miniature qui a décoré le manuscrit de Perréal? Nous apprenons d’ailleurs qu’à cette même époque, où pas mal de refuges troglodytiques de la région ont été abandonnés en tant qu’habitation, celui du château de Brezé fut agrandi par l’acquisition de la ‘Roche de Baffou’ et aménagé à la suite. On peut partir de l’idée que Jean Perreal s’y est rendu, d’abord pour rencontrer un fidèle allié de l’ancien comte d’Anjou, et en même temps pour étudier ce vaste système troglodytique.

 

Celui qui est entré dans l’histoire de l’art comme peintre de cour, où même peintre du roi, n’aurait-il pas laissé à la postérité d’ouvrages de sa main, autres que les rares portraits connus jusqu’ici ? J’invite les archéologues explorant le territoire souterrain à procéder avec la plus grande circonspection, car dans un poème panégyrique adressé au peintre, le poète dit : 

         …

          Je me trouvay dedens ung hermitaige,

Ung lieu plaisant, ouquel ung hermite aage,

Ans, vie et jours joyeusement passoit

Et passera, tant qu'à son trespas soit.

Car il y a en ce lieu prospere aer

         Pour en honneur bien vivre et prosperer

 

J’ advisay là, dedens ce secret temple,

Que bon propos de maint beau secret ample,

Tiré au vif, maint ymage pourtraict

Que contemplay longuement traict pour traict;

Advis me fut que j'estois en Carthage,

Ou Eneas, sur les jours du quart aage,

Veist ses faictz painctz, dont fut grand bruit par l'aer

Qu'ilz estoyent vifz, ne restoit que parler

...[2]

 

Cette longue correspondance rimée est entièrement rendue à la fin de mon livre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Voir Le château de Brezé par Francine Thieffry de Witte aux éditions (du patrimoine) Ouest-France, p. 7.

[2] Paris, BnF, Ms. 2202, vers 5-18.