En quoi la thèse de doctorat*de ARB (2006) sur l’église funéraire et dynastique Saint-Nicolas-de-Tolentin à Brou (Bourg-en-Bresse)

diffère-t-elle de l’opinion courante** ?

 

Selon une conclusion, tirée de ses recherches antérieures***sur Jean Perréal, il n’est né qu’en 1470. La différence d’âge entre lui et la fondatrice de l’église funéraire de Brou n’était donc que de dix ans. ARB le considère comme celui qui, sous un nom changé, a réalisé à Brou son chef-d’œuvre.

Pour l’archiduchesse Marguerite d’Autriche Jean de Paris a été un ami de longue date puisqu’il avait déjà été accrédité à son service quand elle était encore la « petite reine de France ». Se trouvant placée à la tête de la gouvernance des Pays-Bas, elle correspondait directement avec lui, tout comme s’il se trouvait quasi au même niveau social de la hiérarchie médiévale. C’est sans doute parce qu’elle connaissait ses origines (royales selon ARB***).

Elle loue ses plans pour l’église de Brou. Ils sont parfaits. Quoiqu’on ne dispose d’aucun témoignage exprimant la moindre critique, ou le moindre reproche à l’égard de son architecte, celui-ci lui écrit un jour (en octobre 1512) qu’il pense qu’elle soit lasse de Jean de Paris, qu’elle cherche à le rebuter. Et il lui demande d’ordonner qu’il ne lui écrive plus. En même temps, il simule une querelle avec Jean Lemaire (probablement afin que celui-ci ne soit pas questionné à son égard). Elle a dû être bien surprise, ne sachant pas ce qu’il entendait dire par là, puisque voici seulement deux ans, elle lui eut octroyé l’office « de peintre et de valet de chambre » avec tous les privilèges y attachés et une rémunération annuelle de vingt écus au soleil, et qu’en février de la même année, elle lui avait écrit ne vouloir « d’autre contrôleur pour ses édifices de Brou que lui-même ». De plus cette lettre d’octobre 1512 est signée par « Jehan de Paris p. d. m. » (peintre de Madame). Il laisse entendre qu’il restera à sa disposition et en son service, ajoutant qu’« amour ancien l’y contraint ».

On peut présumer que lorsqu’on présenta à l’archiduchesse les dessins des tombeaux, signés par Jean de Rome ou Jan van Roome, mais correspondant aux maquettes réalisées par Michel Colombe selon les dessins de Jean de Paris, elle comprit. Ne lui avait-on pas déjà signalé que les corps de métier étaient mécontents de ce qu’elle engageait des étrangers ? Jean de Paris, n’avait-il pas déjà changé son nom usuel en Jean Perréal (peut-être pour qu’on ne sache pas à la cour de France qu’il travaillait pour leur ex-reine), et n’eut-il pas déjà fait quelques fois usage du nom de « Jean de Rome » pour rappeler qu’il avait passé quelque temps à Rome ?  A Bruxelles il y avait d’ailleurs un quartier appelé « Roome » (peut-être grâce à des ateliers d’artistes qui avaient visité la Ville Sainte).  Il n’eut qu’à y acquérir une demeure, ou cohabiter temporairement avec son collaborateur Bernard van Orley.

Pour Perréal, c’était facile de changer de nom. A part Marguerite, ses proches et fidèles, peu de personnes à Malines ou Bruxelles ne le connaissaient personnellement. Sur le chantier, il ne s’était rendu que pour arpenter (ensemble avec Jean Lemaire et deux maçons), mais ne se montra pas sur le chantier en construction, sauf peut-être en compagnie de Louis Barangier, le secrétaire de Marguerite, aux jours fériés, ou caché sous la chape de moine. En tant que Jan van Roome, il pouvait aussi se tenir à l’écart, n’ayant affaire qu’au sculpteur Conrad Meyt.

Il dut cependant quand même venir contrôler de temps à autre comment le chantier évoluait. C’est pourquoi ARB avait admis qu’il eût adopté ou emprunté encore un autre nom, celui d’un fidèle serviteur de la cour de Bourgogne, Jean de Bonnot, seigneur de Cormaillon.**** A part les plans, Perréal a aussi commandé le matériel, par ex. l’albâtre, et engagé des hommes compétents.

En ce qui concerne l’éloge à l’égard de l’entrepreneur Louis van Boghem (titré d’architecte) par Antoine du Saix, ce fut un défi pour Jean Perréal, recherché par François Ier, qui soupçonnait son peintre, disparu en 1529 ou 1530, d’être passé du côté de Charles Quint. Du Saix, précepteur et aumônier de Charles, duc de Savoie, et son ambassadeur à la cour royale, s’attendait à ce que Perréal allât réagir à un tel affront et montrer ainsi qu’il était encore en vie. Mais celui-ci aura bien reconnu le piège et se sera tu.

Jean de Paris a trouvé les moyens « de mettre l’œuvre à fin en sa vie » et cela « à gages ou sans gages », comme il avait promis dans sa lettre du 15 nov. 1509. Et Marguerite n’aurait su « au monde mieux faire que de lui en bailler la charge et conduite » (Jean Lemaire dans une lettre de nov.1510). En 1512, Louis van Boghem remplaça maitre Thibault de Landry qui semble ne pas avoir donné satisfaction à Perréal.

*Jean Perreals Beitrag zur fürstlichen Memoria in Brou, Stiftung und Grablege der Margarethe von Österreich. (La contribution de Jean Perréal à la construction de l’église de Brou, fondation et sépulture de Marguerite d’Autriche.) (2009/2010)

** Opinions exprimées par Mme Laurence Ciavaldini-Rivière (2014), M. Merlijn Hurx (2015), et bien d’autres experts.

***Herkunft und Identität von Jean Perreal nach literarischen Quellen. (Origine et identité de Jean Perréal d’après des sources littéraires.2007)

**** La généalogie de cette famille est assez confuse : Qui était ce Guy de Lantage, qui avait hérité des titre et nom, et en a fait usage ? Il semble avoir été le père de Jean II de Bonnot (hypothétiquement assimilé à Perréal). Mais bien des documents cités dans la publication de 2009 et 2010 se rapportent plutôt au fils de Jean II, qui serait alors le fils de Perréal. Celui-ci avait fait ses études à Dole. Marguerite entendait le mettre au rôle des bénéfices de son comté de Bourgogne (voir sa lettre à Jean Perréal de février 1512).

ARB, août 2022