A propos de deux portraits de la famille du comte Pierre-Ernest de Mansfeld identifiés. Commentaire sur une enquête de l’historien M. Benoît Reiter.

I. Identification d’un portrait de Marie de Montmorency

Récemment, un article de l’historien Benoît Reiter[1] a porté mon attention sur deux portraits anonymes du 16e siècle, qu’il croit avoir pu identifier. Concernant le premier, découvert au Walters Art Museum à Baltimore, représentant une dame en noir, laquelle pourrait être la comtesse Marie de Montmorency, seconde épouse du gouverneur Pierre-Ernest de Mansfeld, je viens de publier ma prise de position sous le titre Les comtesses de Mansfeld. Portraits nouvellement identifiés.(Voir mses publications)

 

 

 II.  Identification d’un portrait du comte de Mansfeld

 

L’historien précité porte l’attention sur un second portrait de la famille Mansfeld. Il s’agit d’un double de celui du comte de Mansfeld, peint par Frans Pourbus l’Ancien, apparu en 2017 et montré au cours de l’exposition « Amis/Ennemis – Mansfeld et le revers de la médaille », sans pour autant être une copie exacte. Les deux sont datés de 1573. Les dimensions diffèrent, et l’un est peint à l’huile sur cuivre, l’autre sur bois. Reiter se demande qui a copié qui, Frans Pourbus l’Ancien un tableau d’Adriaen Thomasz (qui avait adopté le nom d’atelier « Key » de son patron Willem Key), ou vis-versa. Il faut se rendre à l’évidence, à ce qu’il me semble, que tous les deux sont partis du même dessin de la tête, réalisée au vif à la pointe de graphite et/ou à la pierre noire par un portraitiste doué.

 

Celui-ci n’aurait pas été un tel, si le personnage représentait Pierre-Erneste de Mansfeld, car on ne le reconnait pas si on le compare aux divers portraits du comte, notamment à ceux qui le montrent en pied (conservées à la Katholieke Universiteit Leuven, collection Arenberg). Il est possible qu’il y eut une inscription se lisant simplement « comte de Mansfeld ». En effet, une comparaison avec le double portrait des fils du gouverneur, Charles et Octavien (au Prado à Madrid) montre une forte ressemblance avec le premier des deux. Le représenté est donc le comte Charles de Mansfeld, né en 1545, âgé en 1573 de 28 ans. L’un des tableaux sous examen peut avoir été destiné à la résidence bruxelloise de Pierre-Ernest et de son fils Charles, et l’autre au Palais Mansfeld à Luxembourg. Certes, si M. Reiter pense que le petit puisse avoir été destiné à être offert à un récipiendaire, éventuellement Luis de Requésens, il peut avoir raison. Quant au supposé désir du comte Pierre-Ernest de pouvoir de nouveau « peser dans le jeu politique bruxellois »,[2] il est plus probable qu’il souhaitait avant tout que son fils Charles soit remis en selle. Car celui-ci avait été un des premiers signataires du Compromis des nobles, lequel allait entrainer la révolte des Gueux et finir par provoquer l’indépendance des Pays-Bas.

 

Quant à l’autre, celui peint par Adriaen Thomasz Key, on peut raisonnablement admettre qu’il fût destiné au château La Fontaine.


Il semble que le portrait ait montré initialement le représenté jusqu’à la hauteur des hanches. Mais par la suite, il a été coupé en bas et sur les côtés. La lourde chaine que Mansfeld porte autour du cou est coupé sur la poitrine, ce qui intrigue aussi, car on ne voit pas si quelque chose y était attaché. En haut du côté droit, donc de la partie enlevée, se trouvait probablement son blason.

 

Portons encore une fois le regard sur le portrait peint sur cuivre par Pourbus l’Ancien. La main posée un peu maladroitement sur la poitrine n’est pas une main invalide. Cette impression vient, à ce qu’il me semble, du fait qu’elle est trop coincée dans le cadre du tableau. (Selon Reiter, elle aurait été ajoutée pour rappeler à Philippe II la blessure, due à son engagement à la bataille de Moncontour en 1569.)

 

Si la main parait un peu grasse, il n’y faut pas nécessairement voir un signe d’infirmité à une époque où les hommes de haut rang ne se donnaient à aucun travail manuel, sauf écrire. Le représenté fait le geste de porter la main sur le cœur comme en exécutant une révérence ; n’y faut-il pas voir un témoignage de fidélité envers son souverain, un hommage au roi d’Espagne ? C’est en 1573 que Luis de Requésens venait remplacer le détesté duc d’Albe et prendre la gouvernance des Pays-Bas. Sur son trajet de Milan[5] à Bruxelles, il fit étape à Luxembourg. Le gouverneur donna en son honneur une grande fête. C’était l’occasion de lui présenter son fils ainé, qu’il tenait à recommander à son hôte éminent. Car à cette époque, Pierre-Ernest pouvait encore nourrir l’espoir que Charles puisse un jour prendre sa relève comme gouverneur de Luxembourg.

 

L’autre portrait (réalisé probablement par Kay) semble être un peu plus tardif, la main a disparu. La date de 1573, indiquée sur les deux tableaux, n’offre pas de garantie, que les deux aient été peints la même année ; le dessin pris au vif peut avoir été pourvue de cette date, copiée simplement par les peintres. Suite aux déceptions subies, le comte Charles de Mansfeld a tiré sa révérence au roi Philippe. Si les deux peintres sont partis du même dessin (de la tête), ils avaient néanmoins aussi le modèle sous les yeux, car l’expression de Charles s’est durcie. Si sur le premier portrait, il exprime une certaine nervosité et inquiétude, il se donne sur l’autre bien plus déterminé, pour ne pas dire obstiné. Entendait-il, lui-aussi, tourner le dos à l’Espagne ? En tout cas, il avait signé en 1566, le Compromis des nobles, qui fut soumis à la régente Marguerite de Parme. Qu’il me soit permis de citer l’historienne Corine Kohl : « Elle les reçoit choquée, pourtant tous jurent fidélité au roi. Près d’elle, son conseiller Berlaymond s’exclame moqueur : ‘Quoi, vous auriez peur de ces Gueux ?’ Les conjurés satisfaits, plein d’espoirs, se dirigent vers l’hôtel Coulemberg. Ils se retrouvent autour d’un banquet bien arrosé. Levant son verre, Bréderode[6] rieur, reprend l’insulte : ‘Pourquoi ne pas se nommer les Gueux ?’ »[7] Avec Henri de Bréderode et Louis de Nassau, le comte Charles de Mansfeld avait été un des trois premiers signataires de cette requête exprimant les griefs de la noblesse. On pourrait facilement s’imaginer que sur le portrait de Key le comte Charles tînt le ‘Comprimé des nobles’ avec les signatures en main. En tout cas, rien d’étonnant que Pierre-Ernest ait eu soin d’enlever les noms de ses proches, ainsi que toute marque d’identification, aussi bien concernant sa seconde épouse que son fils Charles (dont la mère avait été une sœur d’Henri de Bréderode, lequel appartenait à un des plus éminents lignages des Pays-Bas).

 

Ajoutons encore un mot à propos du dessin d’un portrait de Pierre-Ernest de Mansfeld, que Reiter évoque en dernier lieu. Rien ne s’oppose à la supposition que le dessin initial, copié et incorporée au Recueil d’Arras (attribué à Jacques Le Boucq), fût effectivement destiné à être donné au peintre pour qu’il réalise le pendant de celui de Marie de Montmorency (du musée Walters). Il n’est pas pour autant nécessaire d’admettre que les représentés (tournés l’un vers l’autre) aient formé déjà un couple,[8] il peut s’agir du portrait soumis en 1562 à la future épouse pour voir si elle allait accepter le parti qui lui était proposé.

 

En conclusion de mon commentaire, je pense que l’historien ait bien deviné qui est la représentée du Musée Walters de Baltimore. C’est une importante découverte. Quant au second tableau découvert par lui, il faut remplacer le nom de Pierre-Ernest par celui de Charles, également comte de Mansfeld.

 

Notes:

 [1] Voir : B. REITER, op. cit., 2022.

 [2] B. Reiter, op. cit. 2022, p.15 (95).

 [3] O. Scholer, op. cit. 2006, p.76.

 [4] Voir la citation d’en haut : « …pas en buste jusqu’au nombril, comme le sont tous les portraits précédents… ».

   [5] De 1572 à 1573 Luis de Requésens avait été gouverneur du Milanais.

 [6] Il s’agit d’Henri de Bréderode, frère de la mère du comte Charles II de Mansfeld.

 [7] C. Kohl-Crouzet, 2019, p.52.

 [8] B. Reiter et ses collaborateurs proposent la date de 1566/67(voir B. Reiter, 2022, op. cit., p. 16 (96)

 

 Citations : A.R. Berens, A propos de deux portraits de la famille du comte Pierre-Ernest de Mansfeld identifiés. Commentaire sur une enquête de l’historien Benoît Reiter. (2022)

 

 Littérature :

 

BERENS Aloysia Romaine,

 - Un château à Clausen pour Charles Quint. Vérité ou fable ? Luxembourg 2022.

 - Le Rêve de Charles Quint, un château impérial à Luxembourg. Luxembourg 2021.

 - Les tapisseries de l’époque de Charles Quint en rapport avec Bernard d’Orley et Pierre-Ernest de Mansfeld. Luxembourg 2020.

 

BUCK Stephanie, Holbein am Hofe Heinrichs VIII., Berlin 1987.

 

KOHL-CROUZET Corinne et MRAZKOVA Iva, Mansfeld et les défis de la Renaissance. Luxembourg 2019.

 

LACEY Robert, The life and times of Henry VIII, Londres 1972.

 

MOUSSET Jean-Luc et DE JONGE Krista (sous la direction de), Un prince de la Renaissance, Pierre-Ernest de Mansfeld, 1517-1604, II volumes, Luxembourg 2007.

 

REITER Benoît, Histoires de portraits et d’artistes : Enquête sur des tableaux représentant Marie de Montmorency et Pierre-Ernest de Mansfeld ainsi que sur l’atelier du peintre flamand Willem Key.Academia.edu, PDF 2022, p. 81-101. 

 

SCHOLER Othon, Palatium Mansfeldicum, d’Mansfeldschlass, Luxembourg 2006.

 

 CATALOGUES:

 - Porträtgalerie zur Geschichte Österreichs von 1400 bis 1800, Wien, Kunsthistorisches Museum, 1982.

 - D’Mansfeldschlass, Un château disparu ? 1604-2018. Archives Nationales, Luxembourg, 2019.

 

 ILLUSTRATIONS :

 Pour les portraits sous examen dans ce commentaire, voir l’étude de Benoît Reiter sur Internet :

 https://www.academia.edu/42969936/Histoires_de_portraits_et_dartistes_Enqu%C3%AAte_sur_des_tableaux_repr%C3%A9sentant_Marie_de_Montmorency_et_Pierre_Ernest_de_Mansfeld_ainsi_que_sur_latelier_du_peintre_flamand_Willem_Key